Bulletin n°6 – juin 2010

Télécharger le Bulletin n°6

  • L’influence syndicale sur les décisions de suppressions d’emplois
  • Entre indemnisations et efforts de reclassement, quel compromis social lors des restructurations ?

 

Jean-Pierre AUBERT

Secrétaire général de la Chaire MAI

 

Les mutations économiques et les restructurations ne sont pas l’affaire d’un seul acteur. L’ensemble des parties prenantes de l’entreprise est concerné et chacun s’engage, peu ou prou, dans le procès. Le rôle des représentants du personnel est éminent, en creux ou en plein, tout au long de la démarche.

Se pose ainsi avec évidence la question du niveau et de la nature de la responsabilité de chaque acteur. Et puisque les acteurs sont interdépendants, les positions des uns influençant celles des autres, voici une question qui ne peut trouver une réponse simple.

On peut bien sûr essayer de cadrer ce processus par la législation et le droit mais la réalité échappe souvent à ce cadre, et j’allais dire heureusement, car la régulation réelle s’invente et les innovations se produisent même si ce mouvement réel n’est pas exempt de « ratés », de conflits et de régressions.

« La réalité sociale, parce qu’elle est humaine et équivoque, est inépuisable » disait Raymond Aron.

Pour donner des références à des conduites ou des gestions positives des restructurations, certains ont avancé la notion de « restructurations socialement responsables » à laquelle la Commission Européenne a fait écho en lançant de nombreux travaux.

Cette notion intéressante ne peut pour autant occulter la question de la légitimité du processus de restructuration, notamment lorsqu’il affecte de nombreux emplois ou des territoires sensibles.

Dans le contexte de crise actuelle, il est normal que cette question ressorte.

Comment les acteurs peuvent-ils aborder ce sujet avec l’anticipation et la transparence nécessaires, pour trouver l’équilibre entre la prise en compte par tous des nécessités inéluctables et l’exploration ouverte des marges de manœuvre possibles ?

Chacun peut contribuer à la solution de ce problème.

L’influence syndicale sur les décisions de suppressions d’emplois

La chaire M-A-I organisait le 15 avril 2010 un petit-déjeuner débat autour des résultats de la thèse de doctorat consacrée par Rémi BOURGUIGNON à l’influence syndicale sur les décisions de suppressions d’emplois.  Maurad RABHI, secrétaire confédéral CGT, nous a fait l’honneur de venir en discuter les principaux résultats. Le débat était animé par le professeur José ALLOUCHE.

Rémi Bourguignon : Dans cette recherche, je me suis intéressé au lien entre la présence de syndicats dans les entreprises et le recours aux suppressions d’emplois. La question n’est pas proprement nouvelle puisque de nombreux économistes y ont travaillé, essentiellement dans les pays anglo-saxons dans les années 70-80. Cela correspond à des contextes spécifiques : c’est la Grande-Bretagne avec l’arrivée de M. Thatcher, ce sont les Etats-Unis avec l’arrivée R. Reagan. Se pose, à ce moment là, la question de l’effet des syndicats sur l’économie en général et sur l’emploi en particulier et les premières études sur le sujet auront nourri les argumentaires de politiques anti-syndicales.

L’argumentation générale à cette époque-là reposait sur une lecture strictement économique : on considérait le syndicat comme un agent économique qui pèse sur le coût du travail et donc, par effet de réaction, susceptible de causer une dégradation de l’emploi.

Il m’a semblé intéressant d’interroger ce champ dans le contexte français actuel:

  • D’une part, les restructurations ne sont plus simplement une réaction à une situation qui aurait été dégradée (coût du travail élevé) mais où elles sont conduites de manière également pro-active par des entreprises en situation économique tout à fait acceptable.
  • D’autre part, dans un contexte économique toujours plus complexe, il est parfois difficile de comprendre les déterminants, les fondements économiques et la légitimité de ces décisions. D’autant que cette complexité a  amené un retrait de l’Etat dans la régulation des suppressions d’emploi. Avec l’abandon symbolique en 1986 de l’autorisation administrative de licenciement, qui signifie que ce n’est plus l’Etat qui pose la règle de la légitimité de la restructuration. De plus en plus, on s’en remet à ce que certains spécialistes en droit social appellent « légitimation négociée », c’est-à-dire la production de la règle par la confrontation entre les partenaires sociaux pour mieux en assurer la pertinence locale. Cela ne marche pas très bien : on recourt beaucoup au juge mais on se rend compte qu’il n’est pas forcément le mieux placé pour décider.

Donc ce qui m’intéressait c’était le syndicalisme non comme agent économique mais comme agent de régulation, pour voir dans quelle mesure il permet de poser des règles et de peser sur la décision elle-même (et non sur les modalités d’accompagnement).

Ce qui m’intéressait également c’était de quitter une approche contractualiste. On accepte souvent que dans les entreprises il n’y aurait pas de négociation sur l’emploi, et que cela arrangerait tout le monde, les syndicats n’ayant pas envie d’être tenus pour co-responsables. Pour cette raison, on étudie peu la question. A cette lecture, j’ai préféré une approche plutôt comportementale. L’idée est que ce n’est pas parce qu’on ne signe pas d’accord qu’il n’y a pas d’effet. La présence de syndicats peut peser sur le comportement et sur les processus décisionnels dans les entreprises.

De ce point de vue, deux grandes thèses possibles : la première, optimiste, consiste à voir le syndicat comme un contre pouvoir qui discipline les dirigeants en les obligeant à argumenter et finalement à rationaliser la décision. Le recours aux suppressions d’emplois en serait moins systématique. Là où il y a des syndicats, on aurait une analyse socio économique plus poussée et une conclusion — probablement trop rapide — serait que là où ils sont présents on supprimerait moins d’emplois.

Ce que j’ai observé à travers une analyse quantitative, sur une enquête du ministère du travail, et une étude de cas dont on parlera tout à l’heure, c’est que les dirigeants ont une attitude différenciée selon le type de syndicats qu’ils ont en face d’eux. Pour le dire vite, ils vont distinguer les syndicats portés à contester les fondements de la décision et ceux plus préoccupés par la revendication sociale en négociant les indemnités et le dispositif d’accompagnement. Ces dirigeants seraient moins ouverts à la discussion avec ceux qui remettent fondamentalement en cause leurs décisions qu’avec ceux qui vont chercher à en négocier la mise en œuvre. On partage ainsi beaucoup moins d’information avec les syndicats qui opposent une rationalité alternative, une autre vision de l’économie. Statistiquement, on voit un accroissement de l’asymétrie de l’information, signe d’une direction qui se renferme sur elle-même et, par suite, une exacerbation des décisions mécaniques en matière de suppression d’emploi, On observe donc un accroissement des suppressions d’emplois en présence de syndicats perçus comme plus radicaux par les décideurs.

 

Evidemment, des tests de contrôle ont été effectués et ont permis de vérifier que cela n’est pas lié à une situation économique différente. L’accroissement du recours aux suppressions d’emplois n’est pas lié, dans ce cas, à des salaires plus élevés ou une performance économique dégradée. L’explication économique est marginale dans ce phénomène.

Concernant l’étude de cas réalisée, il s’agissait d’un sous-traitant automobile. Le cas est intéressant car l’entreprise avait assez peu de marge de manœuvre, prise entre une décision imposée par les constructeurs et la contrainte de créer du consensus pour maintenir la paix sociale et ne pas avoir à payer les éventuelles pénalités pour retard de livraison en cas de grève. Si bien qu’il y avait une situation paradoxale : la décision n’est pas discutable mais il faut la faire accepter.

L’entreprise a alors innové en instaurant une instance particulière pour négocier. Le DRH est allé chercher les fédérations syndicales pour discuter. Pour le DRH, celles-ci étaient connues comme n’étant pas dans la contestation systématique  mais intéressées à rechercher des possibilités de reclassement pour les salariés concernés. Ça a d’ailleurs plutôt bien fonctionné puisque des taux de reclassement élevés ont été atteints avec des indemnités également élevées. Donc un PSE plutôt de haute tenue mais qui a permis d’évacuer la question de la règle et de la légitimité de la restructuration.

Voilà dans les grandes lignes la recherche et ses principaux résultats. 

Maurad Rabhi : Je suis à la direction de la CGT en charge de l’emploi-chômage, et Secrétaire général du textile-habillement-cuir, donc j’ai été amené à suivre de très près le dossier de cette entreprise.

Je voudrais juste revenir un peu sur ce que vous avez dit sur la fin. Vous dites qu’on a travaillé l’accompagnement social, oui mais après la compréhension de la stratégie. C’est un point de divergence pour nous avec d’autres organisations syndicales mais c’est un point très important pour la CGT : pour réussir une restructuration il faut que la logique en soit comprise. Sur le cas Autotex par exemple en 2006 cela s’est relativement bien passé, alors que 700 emplois étaient en cause, car on a pris le temps du dialogue pour expliquer la stratégie. Il y a eu un vrai dialogue social. A partir du moment où l’explication est claire et où les experts ont pu travailler, il n’y a pas de problème. On est capable de comprendre et on est capable derrière de s’asseoir et de travailler les mesures sociales.

Les réactions de plus en plus violentes que l’on voit parfois aujourd’hui se produisent dans des cas où on ne comprend pas la logique. Cela se passe mal quand par exemple une entreprise qui fait 300% de bénéfices veut fermer le site de Grenoble pour aller produire en Tunisie. Ou quand Lejaby, à l’heure actuelle, décide de diminuer la production de la lingerie en France de 30% à 10%, supprimant 600 emplois. Comment voulez-vous expliquer aux salariés qui ont fait la marque et se sont impliqués depuis des années qu’on supprime leur emploi, en pleine crise, pour gagner beaucoup plus d’argent ? Et l’on voudrait que les organisations syndicales discutent simplement de l’accompagnement de telles décisions ? Je ne suis pas d’accord, et la conception du syndicalisme de la CGT n’est pas celle-là !

Je comprends que l’entreprise a besoin de bouger, de se restructurer, et suis d’accord pour en discuter, mais dans un cadre bien compris. Pas de décision prise à l’autre bout du monde sans explication comme trop souvent  Si le cadre est bien compris, les choses se passent bien.

Je reviens sur Autotex notamment à propos d’un de ses établissements qui dernièrement a fait les feux de l’actualité. Je refuse d’aller au ministère éteindre un incendie avec le verre d’eau qu’on me donne : j’avais alerté le groupe, pressé par les donneurs d’ordre de délocaliser la production vers les pays de l’est il y a un an et demi, sur la nécessité de changer de comportement et de stratégie. J’étais intervenu au ministère l’année dernière pour les faire bénéficier, en raison de leurs difficultés, du Fonds Stratégique d’Investissement. Une semaine après avoir reçu 55M d’euros d’aide publique ils annoncent 600 suppressions d’emplois. Explication : entre 2006 et maintenant la direction a été remplacée par des tueurs. Ce genre de situation est bien connu et il est inévitable que les choses se compliquent. C’est la conception du dialogue social qui est en cause.

Si je reviens sur vos résultats. Vous dites que l’on observe plus de suppressions d’emplois dans les entreprises à majorité CGT. Alors ce qui est vrai, c’est que la CGT donne, par principe, la priorité à la défense de l’emploi. D’où sa stratégie :

 

1- Chercher à comprendre la réorganisation en projet

2- Faire des propositions alternatives

Faute de ces 2 possibilités elle durcit, chaque fois, sa position. Le syndicalisme n’est pas là pour simplement accompagner les décisions de restructuration.

 

Je pense que c’est un peu une hypothèse de dire que chaque fois qu’il y a la CGT l’emploi est moins fort. Je nuancerais un petit peu : car si c’était vraiment le cas, vu l’implantation de la CGT dans les entreprises françaises, pourquoi l’emploi n’y est-il pas en meilleure situation ?

José Allouche : Pouvez-vous préciser, Rémi, comment vous avez obtenu ce résultat ?

Rémi Bourguignon  : Oui, bien sûr. Je ne suis pas entré directement par ce côté en identifiant la CGT  car on retient souvent les résultats bruts en oubliant toute l’interprétation et l’explication. J’ai donc préféré livrer l’interprétation d’abord, mais puisque Maurad introduit cet élément je vais peut-être le préciser.

Je disais effectivement que sur la partie statistique on observe un moindre partage d’information lorsqu’un syndicat est perçu plus négativement par la direction et donc des processus décisionnels dégradés, une analyse socio-économique moins poussée. Et comme la CGT est plus souvent associée à cette perception négative de la part des dirigeants on observe statistiquement que les suppressions d’emplois sont plus fréquentes là où elle est majoritaire. Ici, ce n’est pas une hypothèse mais une corrélation statistique. L’intérêt réside plus dans l’interprétation que l’on va donner au phénomène, avec cette réserve que la CGT n’est pas un tout absolument homogène et que l’organisation est elle-même traversée de nuances. J’ai d’ailleurs pu l’observer dans le cas de Autotex par exemple, où dans un établissement 2 sections syndicales CGT se sont trouvées en conflit.

Voilà pour l’explication sur ce lien.

Si je réagis sur la 1ère partie, la direction de l’entreprise avait parfaitement conscience de la nécessité d’expliquer la décision, pour maintenir la paix sociale et créer un consensus. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas faire l’impasse sur l’explicitation. C’est justement parce qu’il leur fallait jouer la transparence qu’ils ont fait appel à des organisations syndicales qui n’allaient pas utiliser les informations pour contester le fond et mettre en cause la décision.

Maurad Rabhi : Je reprendrais une seule phrase que vous avez dite au démarrage, et qui est juste : comprendre les restructurations c’est comprendre la logique économique. C’est du bon sens. Je reviens sur le cas de Lejaby : on y a fait il y a 6 mois une 1ère  réunion de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, puis la 2ème a été bloquée parce que la direction n’a pas voulu expliquer la stratégie à court et à moyen terme : on voulait comprendre la logique du groupe au moins sur  les 2 prochaines années (au niveau de la loi c’est 3 ans). Ils ont préféré casser la réunion et ne plus poursuivre la négociation dans le cadre de la GPEC puisque le seul fait de l’avoir ouverte les protégeait juridiquement. Et 2 mois après on annonce 300 suppressions d’emplois et 3 fermetures d’entreprises. Comment voulez-vous que les gens qui ont donné 30 ans dans de telles entreprises ne se rebiffent pas ? Tout ne doit pas être permis. Il doit y avoir des règles du jeu avec des leviers et pénalités pour les obliger à les respecter. Si on reprend le cas Autotex, j’ai essayé de les alerter là-dessus. Il y a quatre ans, je me suis impliqué mais maintenant je n’ai plus envie de les aider. Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des salariés excédés qui montent au créneau. Quand les gens sont dos au mur, ils ont deux possibilités : soit ils baissent la tête et ils sortent, soit ils se rebiffent… Et il y a des cas où ils se rebiffent…

Bruno Cesar (Cesar Consultant) : Je suis complètement de votre avis à propos de la légitimité et de la citoyenneté. Un projet de restructuration n’est pas fait pour faire du mal mais parce que l’on ne peut pas faire autrement. Il y a donc une logique responsable, et le livre I se doit d’être un outil qui explique pourquoi on en est là et vers quoi on va. J’en suis intimement convaincu. Et je constate un certain nombre de situations d’illégitimité où des comportements de coyotes et de barbares entrainent logiquement des réactions agressives.

Par ailleurs je comprends les résultats auxquels vous êtes arrivé dans votre thèse car je constate que le dialogue, dans certaines entreprises, est si mauvais que l’on n’aborde pas les problèmes. Le comité d’entreprise n’y fait pas son travail et on attend le dernier moment, celui où l’on ne peut plus rien faire, pour parler des vraies difficultés, alors que c’est en amont que l’on devrait pouvoir aborder la problématique économique, la gestion des compétences. Et cela au-delà de l’entreprise, sur la logique du bassin d’emplois : comment préparer ceux qui vont sortir à répondre en termes de qualification aux besoins d’entreprises de l’environnement ? C’est un point important pour moi.

Enfin, je pense que la loi est aussi un frein pour penser en avant : pouvez-vous raisonnablement aller chercher des emplois dans le bassin sans en parler avec vos partenaires ? Difficile. Délit d’entrave, réprimé au pénal. Certaines entreprises doivent alors faire appel à des tiers, comme nous par exemple, pour faire des études économiques, prendre ces contacts et  arriver à la négociation, avec la capacité de recaser tout de suite 50% des personnes concernées, ce qui est déjà remarquable.

 

Voilà les 3 observations que je voulais faire. Dans un certain nombre d’entreprises on est traumatisé par la relation avec les partenaires sociaux, on la subit. On ne donne pas la compétence aux syndicalistes (quelquefois même au management) de comprendre l’économie, la stratégie, les formations sont inexistantes, et donc on a les situations de blocage que l’on mérite.

José Allouche : Vous avez dit « ce qui est important c’est de comprendre la stratégie mise en œuvre ». Cela me perturbe un peu : on pouvait lire hier dans un article du Monde dans la bouche d’un des responsables interrogés au sujet des industries textiles, Dim, Lejaby : « Le coût du travail dans les pays du Maghreb, dans cette industrie, est 4 fois inférieur à celui de la France » : la stratégie ici est donc facile à comprendre. Et pourtant cela n’implique pas que le salarié soit d’accord. Sinon, on serait dans le déterminisme économique, on ferait que tout le monde devienne au sein d’une entreprise des économistes qualifiés, compétents pour toujours accepter la décision qui est prise. Ma remarque vaut pour Rémi, et surtout pour Maurad : comprendre la stratégie est-il suffisant ?

Maurad Rabhi : Oui, mais la question est « de quelle société avons-nous envie ? ». Tout n’est pas permis et la règle du dumping ne peut être acceptée comme seule règle pour justifier une ouverture ou une fermeture d’entreprise. D’autant plus que l’on trouvera toujours un pays où le coût est moindre !

Exemple : fermeture des entreprises Dim à Autun. Je discute avec les chefs d’entreprise, ce qui m’intéresse toujours  pour comprendre leur façon de raisonner. Le patron européen me dit : « Monsieur Rabhi vous faites un beau métier, vous vous occupez des hommes. Moi, mon métier c’est de faire le plus de fric possible. Au-dessus de moi, ce sont des fonds de pension. Donc si vous faites trop de résistance, la seule chose que vous allez gagner c’est ma tête sur un plateau « . Je lui demande s’il trouve logique, alors que 80% du marché se situe en France, qu’on produise en Asie parce que cela coûte 20 fois moins cher, et s’il pense que cela va durer longtemps. Oui, me répond-t-il, « nous sommes conscients qu’un jour ou l’autre en Asie, dans 20 ou 30 ans, il y aura une explosion sociale. Mais d’ici là on va gagner beaucoup d’argent, et vous savez, il reste l’Afrique, qui n’a pas encore été exploitée, on ira en Afrique » ! Devons-nous entrer dans de telles logiques ? Je dis non : on n’accepte donc pas n’importe quoi, et à un moment donné le politique doit reprendre la main sur l’économique. Le drame c’est que au moment de ces fermetures les politiques que l’on voit avec leur écharpe n’ont pas la capacité de revenir sur les aides accordées précédemment ni de peser sur les décisions. Pire, face à des fonds de pension, il est déjà arrivé que même le ministre de l’industrie ait du mal à trouver un interlocuteur en face de lui.

Donc il faut des règles, élaborées ensemble, et auxquelles les entreprises s’adaptent.

Aujourd’hui les 2 demandes de la CGT dans ce sens sont :

 

1- Le droit de veto, non pas dans l’idée de bloquer pour interdire l’application de la décision mais pour prendre le temps de la comprendre et donner la possibilité à un juge d’intervenir si la situation n’est pas claire (sur la notion de licenciement économique en particulier)

 

2- Le droit d’entrer dans les conseils d’administration, avec voix délibérative, pour comprendre au plus haut niveau les stratégies qui s’opèrent dans le temps. On a besoin d’évoluer, mais il faut protéger notre marché, au moins à l’échelle européenne.

 

Je vais reprendre un autre exemple : SCA, groupe suédois : A la suite d’une perte de 60% sur le marché des couches en moins d’un an, ce groupe qui a 3 sites d’usines (Pologne, Suède et France) doit en fermer un. Ce groupe a des pratiques de bon dialogue social et la décision est compréhensible. En principe cela devrait se faire uniquement sur le critère du coût du travail. Or c’est le site français qu’il est décidé de supprimer, alors le coût y est moins élevé qu’en Suède. C’est du protectionnisme. Contester ? Entamer une procédure ? Ou du juridique ou un rapport de forces. Il ne faut pas être naïf : chacun défend son marché. Et iI serait bien que nos politiques aient ce souci, non de protectionnisme mais de privilégier les entreprises françaises. Les marges de manœuvre pour les syndicalistes sont faibles. Il est plus que temps que les politiques reprennent un peu la main sur l’économie.


Retrouvez la suite du débat sur le site Internet de la Chaire: http://www.gregoriae.com/chairemai/

 

Entre indemnisation et effort de reclassement, quel compromis social lors des restructurations ?

 A l’occasion du congrès annuel de l’EURAM qui se tenait cette année à Rome, des chercheurs de la chaire, Rachel Beaujolin-Bellet, Pierre Garaudel, Marie-France Khalidi, Florent Noël et Géraldine Schmidt ont présenté les résultats d’une recherche sur le compromis social lors des restructurations. Une synthèse de cette recherche est ici proposée par les auteurs.

 Les restructurations, que nous pourrions définir comme les mutations organisationnelles qui engendrent des ruptures du lien salarial, constituent un phénomène quasi-quotidien de la vie des affaires. Il n’en reste pas moins mal connu. L’analyse de ce phénomène suppose la mise en articulation des mutations économiques, technologiques ou organisationnelles connues par les entreprises, et des problèmes sociaux causés par le dénouement des contrats de travail. Cette articulation est nécessaire parce que c’est la dimension sociale de l’opération qui d’une part imprime son caractère dramatique à l’adaptation économique et d’autre part en conditionne souvent la réussite : minimisation des coûts cachés, réalisation des changements prévus, mobilisation des « survivants ».

Le droit du travail français semble de prime abord offrir un cadre régulant la pratique des restructurations, ou plus exactement des licenciements économiques collectifs. Il définit en effet un protocole précis de consultation des représentants du personnels et rend obligatoire la mise en place de « plans de sauvegarde de l’emploi » dont le but explicite est d’éviter autant que possible les licenciements et faciliter les transitions professionnelles des personnes pour lesquelles cette extrémité reste incontournable. En cela, la cause de l’emploi semble être particulièrement mise en avant, renforcée d’ailleurs par une évolution des textes, de la jurisprudence et des pratiques qui visent à renforcer l’employabilité des salariés ainsi que leur information.

Pourtant, l’observation des restructurations, du moins de celles relayées par les médias, donne une toute autre image, faite de sentiments de trahison, de conflictualité, de salariés désespérés… Bien plus, il semblerait que l’on assiste à un retour de la logique qui tend à éteindre le préjudice ressenti ou déclaré par l’octroi d’indemnités supra-légales, se comptant parfois en années de salaires, aux dépens d’un effort de reclassement pourtant censé être plus profitable à long terme pour les personnes concernées comme pour la collectivité.

Question de recherche, terrain et méthodologie

Notre équipe de recherche a eu l’opportunité d’effectuer depuis 5 ans une dizaine d’études de cas en profondeur de processus de restructuration, dans des entreprises de taille et de secteurs variés, confrontées à des difficultés ou des enjeux économiques et organisationnels allant de la fermeture dans un contexte de faillite à l’adaptation organisationnelle la plus proactive, et s’étant soldés par des compromis sociaux très différents à la fois quant à la conflictualité des relations, et quant au type de mesures d’accompagnement privilégiées.

L’objectif de cette communication est de proposer une synthèse de ces cas, reposant sur la méthodologie de l’analyse qualitative comparée, afin de faire ressortir les régularités qui expliquent que les partenaires sociaux se tournent plutôt vers un compromis social fondé sur des indemnités supra conventionnelles ou au contraire vers un effort particulièrement poussé de reclassement ou encore vers ces deux types de mesures simultanément. Le choix a été fait de se focaliser sur quatre conditions principales afin de rendre compte à la fois des caractéristiques de la main-d’œuvre concernée, de l’opération de restructuration en elle-même et enfin de la nature des relations industrielles.

Principaux résultats

Les résultats obtenus montrent tout d’abord qu’il n’y a pas exclusivité des mesures d’accompagnement des licenciements, l’effort d’indemnisation ne venant pas, par exemple, se substituer de façon systématique à l’effort de reclassement. L’hypothèse de stratégies purement court-termistes de la part des partenaires sociaux est donc à affiner. Pour cela l’analyse qualitative comparée permet d’avancer dans l’exploration de ces dix cas.

Il en ressort que le recours à la logique indemnitaire découle d’un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes. Chaque fois que les indemnités dépassent le minimum légal de façon significative, on retrouve la conjonction de trois facteurs : une main-d’œuvre à l’employabilité dégradée que ce soit du fait de l’obsolescence des compétences ou du manque de dynamisme du bassin d’emploi, une opération de restructuration se limitant à une baisse des effectifs sans réelle refonte de l’organisation ou révision de la stratégie et enfin, une présence syndicale active. Plusieurs pistes peuvent être avancées pour rendre compte de ce résultat : l’employabilité dégradée rend illusoire un effort de reclassement amenant à une victimisation plus poussée des salariés licenciés ; l’employabilité est directement corrélée à l’âge et l’indemnité lourde peut-être utilisée, accolée aux indemnités chômage à des mesures de préretraite de facto ; la restriction du projet industriel à une simple contraction des effectifs rend impossible d’envisager des solutions de mobilité interne et dispose d’une légitimité moindre contribuant à une crispation des positions des négociateurs…

 

L’analyse qualitative comparée permet en outre de mettre en évidence que la mise en œuvre de plans de reclassement ambitieux nécessite l’instauration d’un climat de coopération entre partenaires sociaux pendant la négociation. Cette condition n’est toutefois pas en soi suffisante pour expliquer le choix de cette mesure. Ce résultat n’en reste pas moins intéressant dans la mesure où il fait écho à plusieurs études montrant que le reclassement, en cela que ses résultats sont encore hypothétiques lorsque le dispositif est négocié et repose sur l’engagement des salariés, ne peut être mis en œuvre sans la caution et l’implication des partenaires sociaux. Ce climat de confiance est d’autant plus nécessaire que la négociation d’un plan de reclassement suppose de la part des syndicats à la fois la reconnaissance du fait que la restructuration est utile, et que la sortie de l’entreprise n’est pas une issue nécessairement défavorable aux salariés.

 Propositions pour une approche renouvelée des restructurations

La méthodologie et le matériau mobilisés ne peuvent conduire qu’à des résultats exploratoires. Pourtant ils sont déjà riches d’enseignement et pourraient conduire à une vision renouvelée des restructurations utiles pour les recherches encore à mener (ne serait-ce que dans une optique confirmatoire), mais également pour penser une meilleure régulation et une meilleure gestion de ces opérations critiques.

Les discours dominants sur les restructurations reposent sur un ensemble de présupposés normatifs qui veulent d’une part que les restructurations nécessaires soient effectuées (au nom des droits de propriété de l’actionnaire, de la préservation de l’emploi à terme ou encore de la destruction créatrice gage de la richesse des nations) et d’autre part que l’on privilégie le retour à l’emploi des personnes licenciées, rompant ainsi avec une longue tradition d’éviction du marché du travail (il en va notamment de la croissance économique comme de l’équilibre des régimes d’assurance sociale diverse). Ce faisant, à l’occasion de restructuration, la logique indemnitaire est souvent condamnée en cela qu’elle apaise la douleur sans remédier au mal à long terme. Elle contribue en outre à renforcer une représentation de la restructuration comme émanant d’un patron fautif qui doit expier sa cupidité…

Les résultats de cette recherche peuvent contribuer à mieux appréhender le processus de négociation des restructurations en ne le cantonnant pas à la seule phase de la procédure légale et de montrer comment la logique de reclassement s’articule avec la logique indemnitaire. Nous plaiderions ainsi pour une approche en deux temps des restructurations.

La première phase est celle de l’exploration des possibilités pour faire face à la mutation qui rend nécessaire l’adaptation des effectifs. Cette phase est celle au cours de laquelle les alternatives stratégiques sont pesées et les choix organisationnels concurrents évalués. Nous gageons, conformément aux canons des modèles stratégiques de prise de décision, que cette phase a généralement lieu ou en tout cas qu’elle gagnerait à avoir lieu pour améliorer la qualité des décisions. A cette étape du processus, la discussion reste encore suffisamment ouverte pour que le projet de l’entreprise et l’inscription des salariés dans ce projet restent un problème commun aux différentes parties prenantes, pouvant s’aborder de façon intégrative.  Toutefois elle reste en France souvent secrète et n’implique qu’exceptionnellement les salariés ou leurs représentants. Or, c’est précisément lors de cette phase que pourrait se construire la légitimité de l’opération de restructuration et le climat d’une part parce que la rationalisation de la décision y est effectuée et d’autre part parce qu’elle permet de mesurer l’effort d’évitement des licenciements et l’intensité des mobilités internes. La participation des représentants du personnel à cette phase amont de la restructuration semble être indispensable à la construction du climat de coopération nécessaire pour imaginer la mise en place de plans de reclassement ambitieux.  Elle se résume en droit du travail français à deux ou trois réunions s’étalant sur une période de six semaines, ce qui obère toute possibilité de se doter de clés de compréhension commune de la situation de l’entreprise.

La seconde phase du processus de restructuration est celle de la mise en œuvre des plans de licenciements qui n’ont pu être évités en amont. A cette étape, la perspective change radicalement puisqu’il y a lieu de dissocier clairement les intérêts des salariés, des intérêts de l’entreprise, voire de distinguer les intérêts des salariés licenciés de ceux des salariés restants. Cette phase ne peut-être que distributive dans la mesure où il n’y a plus de problème commun à résoudre, mais simplement une création de valeur dégagée par l’allègement des charges de personnel ou la réalisation de gains de productivité à partager entre les parties. C’est alors le rapport de force qui prévaut pour décider du montant global des ressources qui seront allouées à l’indemnisation ou au reclassement des « victimes ». Le choix final de telle ou telle mesure pourrait alors relever du calcul d’utilité : reclassement si la coopération a pu s’établir entre partenaire sociaux au cours de la première phase ; indemnités financières si l’employabilité est dégradée, que le résultat du reclassement apparait trop aléatoire ou encore que le reclassement n’est pas utile.

La prise en compte de la phase amont du processus de restructuration, qui relève encore pour bonne part de la libre initiative des employeurs, s’avèrerait déterminante pour expliquer la qualité de la phase aval. S’y jouent en effet la légitimation de la restructuration et la construction du climat de coopération nécessaire au déploiement de plans de sauvegarde de l’emploi conçus autour de la cause de l’emploi. Si l’idée semble faire son chemin, la route est encore longue vers une telle ouverture de la gouvernance des entreprises.